dimanche 28 février 2016

La Croix-Rousse n'est pas à vendre

Monique et le COMITE POPULAIRE CROIX ROUSSE
Illustration originale de Rodolphe Proverbio

Il a vu le jour spontanément lorsque sont entrés en action les projets urbanistes de Mr Pradel, Maire de Lyon sur le quartier Croix-Rousse. Cet homme vivait encore dans le culte du « modernisme », ( avec tout ce que cela peut induire comme flux financiers pour la ville). Pour lui, Lyon devait ressembler à New-York et l’on devait raser tout ce qui était vieux (y compris le quartier ST Jean qu’André Malraux, Ministre de la Culture, a sauvé in extrémis) pour le remplacer par du béton.
A la croix-Rousse, il convenait de commencer par la Grand’Côte, rue pouilleuse, et ensuite on aurait mis à bas tous ces immeubles de canuts aux proportions inutilement hautes pour les remplacer par de luxueux immeubles à la vue imprenable. Qui allait s’opposer à tant de bon sens ? (et à tant de juteux marchés ?)



Hé bien il se trouve que le quartier n’avait plus la cote dans les années 60. Une mode « moderniste » avait poussé bon nombre d’habitants vers les banlieues neuves de la Duchère et autres et la Croix-Rousse était devenue un quartier de vieux et d’immigrés. Or il se trouve que ce vieux quartier attirait depuis quelques temps toute une nouvelle jeunesse, venue là pour toutes sortes de raisons allant du retour à la ville après les expériences de 68, la modicité des loyers, mais aussi une vraie envie de retrouver des racines et de réinventer le vivre ensemble.
Dès l’annonce des premières démolitions, c’est cette micro société informelle qui a réagit, tout d’abord en s’identifiant et se regroupant. Puis en créant  ce « Comité Populaire » dans une ambiance mi happening mi « politique » au sens premier du terme, c’est à dire : c’est notre quartier, ce sont nos rues, nos places, nos maisons. Nous entendons y vivre comme nous le voulons, pas sous le joug de l’argent.

Montée de la Grande Côte 1974 juste avant la démolition

Il s’en est suivi une extraordinaire dynamique qui a vraiment fonctionnée, du moins un certain temps. Pour la communication, un journal mural était tiré chaque semaine et collé sur les murs. Il faisait le point sur la situation. Les vendredis soirs, une « farce » théatrale était écrite dans le style Guignol et Gniafron. Les personnages en papier maché portés par les acteurs étaient  les deux précités plus le Maire, les promoteurs, les vieux, les immigrés etc … La représentation était donnée le samedi matin au milieu du marché. Là encore, il s’agissait d’éclairer les habitants du quartier sur les projets du Maire, leur stratégie et les changements a en attendre.
Mais il y avait une base plus « sérieuse ». De jeunes architectes, des juristes, constituaient des dossiers afin de pouvoir discuter pied à pied avec les autorités, déposer des recours etc…Des groupes, s’occupant des enfants, des personnes agées, des immigrés (en rapport avec la Cimade) agissaient sur le terrain. Une très forte implantation de musiciens sur le quartier donna lieu à des fêtes mémorables  dont le  8 décembre façon Croix-Rousse, avec distribution de soupe populaire aux carrefours, « concours » de vitrines, etc…. . Il y eu bien sûr de grandes manifestations anti –Pradel devant la Mairie du 1 er arrondissement (fief de Michel Noir et Béraudier), Montée de la GD Côte, sur le Boulevard etc …Un restaurant coopératif : Les Tables Rabattues a fonctionné plusieurs années.

Journal mural du comité populaire 6 février 1976


Le résultat le plus extraordinaire de cette période, c’est le nombre d’initiatives prises par les uns et les autres. Un tel transformait son séjour en salle de cinéma publique, tel autre, cantonnier de son état, créait un club de karaté pour les enfants ; un groupe de jardins collectifs s’est constitué ; pour les week-ends, toutes les voitures bien remplies en route pour des ballades à la campagne, etc..repas collectifs dans les rues ou sur les places : les N° pairs font le salé, les impairs, le sucré etc
Sans vouloir exagérer l’impact du Comité sur les évènements, il faut bien voir que seul le haut de la Grand’Côte a été démoli et rien d’autre. D’autres se sont sans doute battus sur le même terrain mais nous y avons eu une grande part. Le Comité comptait environ 300 membres. Ce qui a été le plus bénéfique dans l’histoire, c’est sans doute que cela a marqué chacun d’entre nous et nos enfants de façon très profonde. Dire aussi qu’aucun parti politique n’a jamais réussi à mettre la main sur le Comité et ce n’est pas faute d’avoir essayé.


Monique est en robe noire à gauche de la tête de Pradel

Alors, Monique Jan Baetz dans tout ça ? Eh bien, dès le début elle a mis toute son  énergie et surtout sa créativité dans l’aventure. Etant dessinatrice en Soieries et plasticienne, le Journal mural, les actions théatrales, c’est elle. Elle est aussi à l’origine des groupes d’action pour les femmes,  les enfants, les vieux, les immigrés. En fait, étant présidente du Comité elle a été sur tous les terrains et a l’origine de presque toutes les actions, des plus petites aux plus grandes. Toujours elle a insufflé un esprit de liberté, de justesse, d’ouverture. Elle a été infatigable. Il émanait d’elle l’esprit des luttes des canuts, comme un petit parfum de Louise Michel, mais surtout un amour immodéré de la Vie et des autres. Elle a été l’âme de cette aventure.

Rodolphe Proverbio
Dessinateur, peintre et photographe, à l'origine de la plupart des journaux muraux du Comité Populaire.